Projet porté par Paul Bacoup, Alexandre Cantin, Thomas Lagane, Valentin Loescher
Avec la collaboration de Vincent Bernard, Julia Bude, Bénédicte Fabre, Philippe Guillonnet, Augustin Hubert, Rosalie Jallot et Quentin Zarka
En décembre 2021, se tenait la première session expérimentale du projet de recherche scientifique collectif sur la fabrication de pirogues préhistoriques de l’APERA. Il s’agissait d’un test d’abattage d’un pin maritime de 28 m de haut dont le diamètre était proche de 90 cm de diamètre à la base du tronc. Cette session a été réalisée avec l’aide de membres de l’association Koruc.
L’objectif de cette session était double. D’une part, obtenir un arbre aux caractéristiques morphologiques adéquates pour réaliser une pirogue. Ainsi, le tronc a un diamètre suffisamment gros pour permettre d’embarquer un équipage une fois la pirogue creusée. Le fil du bois est rectiligne et les douze premiers mètres de l’arbre ne présentent pas de grosses branches afin de faciliter le creusement et de ne pas fragiliser la pirogue.
D’autre part, cette session était l’occasion de tester deux approches de l’abattage d’arbres durant le Mésolithique (période s’étirant du 10e au 6e millénaire av. n. è. en France). La première consistait à essayer d’abattre le pin à l’aide du feu (Stewart 1984, p. 38). Cette technique d’abattage a souvent été associée au Mésolithique sur la base d’a priori concernant l’existence et l’efficacité d’un macro-outillage adapté à cette tâche, contrastant ainsi avec la période suivante du Néolithique et ses emblématiques haches en pierre polie.
En effet, l’abattage au feu permet théoriquement de se passer d’outils en laissant la combustion entamer petit à petit les fibres de l’arbre jusqu’à sa chute. La base du tronc a ainsi été écorcée du côté où nous souhaitions faire tomber l’arbre (fig.1).
Ainsi, nous espérions créer une charnière de chute similaire à celles façonnées dans un abattage classique à culée blanche (Choulot et al. 1997, p. 189). Nous avons appliqué de la “terre à bâtir” (mélange de terre argileuse, d’eau et de dégraissant végétal) contre le tronc à environ 1 m du sol, sur une hauteur de 60 cm et sur un tiers de la circonférence du tronc afin d’éviter que l’écorce située au-dessus du foyer ne prenne feu (fig. 2). Si le feu rongeait petit à petit le bois, le rythme de creusement était très lent et la quantité de bois à fournir pour maintenir un niveau de combustion intéressant était très importante (fig. 3).
La deuxième approche consistait à tester des répliques expérimentales d’outils mésolithiques (Valdeyron 2011 ; Guéret 2014 ; Osipowicz et al. 2019 entre autres). Trois outils ont été utilisés en priorité : une hachette en bois de cerf, une hache en T en bois de cerf et une herminette en pierre à emmanchement indirect en gaine de cerf (fig. 4). Nous avons travaillé sur la face opposée à celle travaillée par le feu. S’il semble que nous devons retravailler nos emmanchements afin de les rendre plus solides, ces outils ont néanmoins été efficaces (fig. 5).
Ces tentatives, au feu et à l’outil, n’ont pas permis d’abattre le pin dans le temps imparti à cette session (trois jours). Toutefois, les résultats obtenus par ces tests ouvrent la voie à de futures expérimentations sur l’abattage d’arbres avec un outillage et des techniques mésolithiques, fondées sur un protocole scientifique. Elles permettront d’apporter des éléments pour alimenter les discussions sur les chaînes opératoires d’abattage d’arbres propres à cette période. Notre deuxième objectif était donc rempli.
Afin de remplir le premier objectif, nous avons été contraints d’employer des moyens mécaniques modernes. Une fois au sol, le caractère rectiligne du tronc et l’absence de grosses branches sur ses douze premiers mètres (fig. 6) nous permettent d’envisager la fabrication de deux pirogues en nous fondant sur des modèles attestés par l’archéologie (par exemple sur les sites de Noyen-sur-Seine et Nandy en France ou encore Pesse aux Pays-Bas ; voir Mordant et Mordant 1989 ; Beuker et Niekus 1997 ; Bonnin 2000 par exemple).
Bibliographie :
Beuker J. R., Niekus M. J. L. T., 1997, « De kano van Pesse – de bijl erin », Nieuwe Drentse Volksalmanak, vol. 114, p. 122-126.
Bonnin P., 2000, « Découverte de deux pirogues monoxyles mésolithiques entre Corbeil-Essonnes (Essonne) et Melun (Seine-et-Marne) », dans Les derniers chasseurs-cueilleurs d’Europe Occidentale (13000- 5500 av. J.-C). Actes du Colloque International de Besançon (Doubs, France) 23-25 Octobre 2001, Besançon, Presses Universitaires Franc-Comptoises, p. 305-311.
Choulot et al., 1997, « L’abattage et le façonnage des bois d’œuvre », dans Pétrequin P. (dir.), Les sites littoraux néolithiques de Clairvaux-les-Lacs et de Chalain (Jura). Tome III : Chalain station III, 3200-2900 av. J.-C., Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’Homme, p. 187-210.
Guéret C., 2014, L’outillage du Premier Mésolithique dans le Nord de la France et en Belgique. Éclairages fonctionnels, Thèse de doctorat, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Mordant C., Mordant D., 1989, « Noyen-sur-Seine, site mésolithique en milieu humide fluviatile », dans L’homme et l’eau au temps de la Préhistoire. Actes du 112e congrès national des sociétés savantes, Lyon, 1987, Commission de Pré- et Protohistoire, Paris, Édition du comité des Travaux Historiques et Scientifiques, p. 33-52.
Osipowicz G. et al., 2019, « Nowe znalezisko wczesnomezolitycznej „motyki” kościanej ze wsi Borki, pow. Wołomiński », Wiadomości Archeologiczne, 70, p. 179-182.
Stewart H., 1984, Cedar: Tree of Life to the Northwest Coast Indians, Vancouver, Douglas & McIntyre, 192 p.
Valdeyron N., 2011, « Derniers chasseurs et premiers bûcherons ? La question des haches et des herminettes dans le Mésolithique européen », dans Servelle C. (dir.) Haches de pierre. Au Néolithique, les premiers paysans du Tarn, Castres, CDAT (Comité départemental d’archéologie du Tarn), p. 419-434.
Pour citer ce billet : P. Bacoup, A. Cantin, T. Lagane, V. Loescher , “Fabrication de pirogues mésolithiques – Étape 1 : Abattre l’arbre”, APERA – Carnet Hypothèse, mise en ligne le 04 novembre 2022.
[En ligne] : https://apera.hypotheses.org/535
